Hissez Haut !!!

14h22 page blanche page blanche page blanche... 14h49 et deux mangues plus loin... page blanche page blanche page blanche... à l'horizon toujours rien, à moins que... là, droit devant à midi vers 6h30, s'étalant sur l'altiplano, l'ombre de la plus belle page blanche de mon voyage, visible dans les premières lueurs du jour...


A l'heure ou cette bonne vieille France vit bien en dessous des normales saisonnières, et pourquoi pas puisqu'il n'y a plus de saisons, essayons de comprendre comment j'ai bien pu traîner mes guêtres, oui celles-ci, les rouges...


... à plus de 6000 mètres dans la glace, un beau matin d’Août, quelque part entre le Tropique du Capricorne et la ligne de l'Equateur. Alors après les saisons hein, qu'en dira-t-on, l'important c'est de rentrer son linge quand il pleut.

Deux précisions: oui je serre les dents sur la photo, parce qu'en dépit d'un sourire ultra-bright, je ne suis pas vraiment au top, et l'on ne peut pas toujours être de circonstance quand la photo arrive. Et oui les photos ne sont pas super quality, j'ai emmené un appareil compact et non ma grosse bécane HDI double injection vario polini, l'objectif était de traîner mes propres kilos au sommet, pas de monter un studio photo dans la stratosphère (j'exagère un peu oui).

Flashback...

Jeudi matin, stop à El Alto pour les achats de dernière minute, droit devant objectif Huayna Potosi, le "petit riche" et ses 6100 mètres d'altitude:


Le tarif c'est un guide pour deux promeneurs, ça tombe bien j'ai engrené les trois Suisse-Allemands que j'ai rencontré quelques jours plus tôt sur la descente de la Route de la Mort. Souvenez-vous, l’effronté qui m'a fait l'intérieur dans une pente sinueuse, je lui ai touché deux mots au bord de la piscine. Les guides sont franchement optimistes, une cordée franco-suisse dans la force de l'âge, c'est toute la tradition alpine selon eux. A cette instant, je décide de taire mes origines lusitaniennes qui ne me sont d'aucune utilité au delà de 500 mètres d'altitude et en dessous de 15 degrés. 

J'aime quand un plan se déroule sans accrocs, alors voyons voir...


Bienvenue dans la Cordillère Royale de Bolivie, vous êtes ici, point numéro 1, camp de base à 4700 mètres, c'est là où tu laisses les charentaises près du feu pour les 3 prochains jours... quand tu le sens tu montes au camp des Argentins à 5400, et de là, ou t'es chaud et tu prends la route des Français pour faire le malin devant les filles, où tu prends la route normale qui est donc faites pour les gens normaux. Pas de question? Pas de question, on continue.

On arrive au camps de base pour le déjeuner. L'après midi sera consacrée à un "entraînement" sur le glacier. Pendant que la "cholita" prépare son combat en cuisine en réajustant ses tresses, le Suisse-Allemand prépare la bataille de l'après-midi en révisant ses bottes.


C'est pas l'info du siècle que l'on déjeune à mi-journée mais c'est important ici. Il faut bien prendre des forces, mais savoir raison garder. La digestion consomme de l'énergie, donc du sang, donc de l'oxygène, et à cette altitude, une digestion difficile est autrement plus pesante qu'une session cantine d'entreprise trop appuyée à méditer devant son ordinateur, vous savez vers 14h quand personne ne parle et que les téléphones ne sonnent même pas. 
  
Prêt à décoller, crème solaire, lunettes de Polnareff, bonnet vissé, tresses de chaque côté:


Après une petite montée de quelques centaines de mètres, on pose les sacs au pieds du glacier et on part se promener...


On teste les crampons sur des pentes de malades, pas de problèmes, ça colle au terrain.

p.s.: à gauche c'est un guide, pas un terroriste.

Tiercé crampons, cordes, piolets, ok, dans un sens et dans l'autre...


C'est pas évident sur la photo mais à droite le trou continue sans que l'on voit le fonds. Bien obligé d'avoir une confiance aveugle envers le terroriste qui vous assure. Super dur ce truc, ça glisse bien la glace, et avec l'altitude (et le manque d'exercice) au bout de 4 min je sens plus mes avant-bras, tout mollasson, j'ai du abandonner à un mètre de l'arrivée. Bref, j'ai plein de bonnes excuses pour avoir échoué à l'exercice, sous les yeux mi-rieurs de ces fringants Suisses dans leur prime vingtaine, fraîchement émoulus du service militaire (. Ah merci Chirac! N'empêche que là on plaisante, mais le surlendemain, sur le terrain le vrai, quand j'ai placé une attaque à 300 mètres du sommet, ils m'ont jamais revu les Suisses, comme Bahamontes dans l'étape du Puy de Dome en 59.

L'entraînement n'est pas super essentiel sur le plan technique, c'est plus une question d'acclimatation, ça fait un jour de plus à une altitude bien supérieure à La Paz, et il est franchement recommandé de dormir, si possible, 500 mètres plus bas que le point le plus haut de la journée (vous avez le droit de relire la phrase une deuxième fois si nécessaire). On redescend donc au camp de base pour la nuit, dîner, cheminée et petits petons bien au fonds du sac à viande.

Je profite de la matinée du lendemain pour me monter un peu les poumons en température et garder quelques souvenirs du panorama.

A gauche, la retenue...


...au centre et au pieds de la montagne, le premier refuge...


... à droite et de l'autre côté du barrage, la petite vallée enchantée.


Vendredi 14h, c'est parti pour de vrai, hommage à nos illustres prédécesseurs qui carburent à l'AOC de pays...


Objectif deuxième refuge, environ 600 mètres plus hauts, très vite le chemin devient assez galère, pour la simple et bonne raison qu'il n'y a plus de chemin, je dois sauter de pierre en pierre tel un jeune chamois... Au bout de 2h de montée, petite pause kit kat bien méritée. On règle l'entrée du Parc National. Et ouais, là le type au milieu, il encaisse les tickets. Alors me direz-vous, pourquoi ce type n'encaisse pas tranquillement les bolivianos au premier refuge puisque tous les gens qui passent par là grimperont au sommet. C'est son truc à lui, 2h de montée le matin et 1h de descente le soir pour passer la journée dans un bureau en pierre à construire soi-même à 5000 mètres d'altitude. Pourquoi pas.  


Le temps d'admirer le chemin parcouru et c'est reparti,


Deux petites heures plus tard, petit V de la victoire, la première partie du contrat est remplie, nous avons atteint le deuxième refuge.

Le petit bonhomme en orange...


...va rentrer dans la maison orange avant la tombée de la nuit.


Le sommaire refuge est posé à la limite de la glace, au menu du lendemain... et du soir, il faut bien faire chauffer les nouilles, et s'abreuver d'infusion de feuilles de cocas. Les alcaloïdes type cocaïne, présentes en faible quantité dans la feuille, vous ouvrent les poumons au maximum et l'eau apporte de l'oxygène à l'organisme. C'est pour votre bien je vous dis.

 

18h30, on lèche la gamelle, merci et bonsoir, il est l'heure d'aller se coucher avec les gallinacés. C'est pas une grasse mat' qui nous attend, le réveil est programmé à minuit et demi pour décoller vers 1h du mat', juste le temps d'avaler une frugale collation et de s'arnacher, bottes, piolets, crampons, et encordage par le slip. 

Je me fous au lit avec mes 3 Suisses, on se raconte pas d'histoire, l’ascension de la journée nous a épuisé, il faut essayer de prendre du repos. Au bout de 4 min 30, on entend les deux guides ronfler à peine puissance. Ah bon c'est comme ça alors! Malheur à nous qui croyions dormir comme des Aymaras. Une heure passe, deux heures passent, trois, quatre et ainsi de suite, tu dors? bah non et toi? bah neiiiin! Impossible de trouver le sommeil. On est entre 5300 et 5400 mètres, c'est plus la même limonade, à chaque fois que mon corps se détend, ma respiration ralentie et d'un coup, plouf ouf bleeeublaaaa j'étouffe, obligé de ravaler quelques bouffées, totalement essoufflé au fonds de mon lit, avec le coeur qui tape partout dans la tête, les oreilles, la poitrine et même les bras, avec des petites accélérations !!!  Bon visiblement il n'y aura pas moyen de dormir, on reste calme et on essaye de se reposer. Bonne de raison de ne pas paniquer, en cas de pépin, il faut redescendre par ses propres moyens car sache érudit lecteur, qu'aucun hélicoptère ne peut voler à plus de 5000 mètres d'altitude, et ce d'après le blog de Michel Drucker qui suivait Sarkozy en vélo dans un col hors-catégorie du Bhoutan, qui d'ailleurs est plus agréable à visiter en train car le bhoutan-train (héhé, merci, non non).


Un peu de sérieux. Deux heures avant de décoller, je commence à avoir franchement mal à la tête, je prend deux cachetons et ça ira comme ça. Mon pote de cordée lui n'en peut plus, il décide d'en rester là, chute à l'arrière et abandon. Dommage pour lui, c'est un mal pour un bien parce que je vais me retrouver seul avec mon guide, pour monter à mon rythme (pas le sien évidemment) et en cas d'échec je ne pourrais pas dire que c'est la faute de l'étranger.

On est fin prêt vers 1h du mat, c'est parti, on voit nada et il fait pas chaud chaud, heureusement j'aurais tout le loisir d'admirer le chemin parcouru au cours de la descente quelques heure plus tard.





Il est 5 heures, Paris s'éveille, et on a déjà fait du chemin. Je vous cache pas non plus qu'on a fait quelques pauses au cours de la montée (pas de pause clope). Les derniers mètres se font vraiment dans la douleur, obligé de m'arrêter toutes les 5 à 10 min et de respirer trois fois avant de franchir une "marche" un peu haute, j'ai la tête dans un étau et une sensation type état grippal. Deuxième info technique, sache qu'à plus de 6000 mètres d'altitude, il ne reste que 40% de l'oxygène disponible au niveau de la mer, et ce d'après une étude du Kentucky Fried Chicken Institute of Technology. C'est la première fois dans ce voyage que je me demande ce je fous là et que c'est peut être trop pour moi. Ce qui n'est pas de trop c'est l'arrivée au sommet à 6h15, on est les premiers qui plus est (pour être honnête, on a doublé des cordées jusque dans les 100 derniers mètres, où là j'ai plutôt ralenti ceux qui étaient derrière).


On y est !!! Emotion, un grand pas pour l'homme et l'humanité s'en fout, grosse accolade avec mon Mauricio (le guide), et les suivants (les 2 suisses par exemple). Le sommet est une pointe, on est 5 ou 6 maxi en même temps, on se connait pas mais on l'a fait, 6100 mètres au-dessus de ta tête, le Mont-Blanc plus quatre Tour Eiffel sur le chapeau !!!  


Photo internet pour donner une idée de la tête du sommet (je ne connais pas ce type)


Là c'est du vécu avec les frères d'armes




A ce moment là, devant, le soleil est encore sous sa couette de coton, et derrière, le haut plateaux 2000 mètres plus bas. En quelques minutes, le soleil s'élève au dessus des nuages, toutes les couleurs changent, l'ombre du Huayna Potosi s'étire sur l'Altiplano. On peut pas rester toute la journée, mais c'est 20 minutes de plénitude, buena onda.

Ainsi fut-ce miracle





Il faut attaquer la descente, le soleil va vite taper, et la fatigue est immense. Un petit sourire quand même. 


Au bout de 2h, je suis totalement épuisé, encore quelques efforts pour atteindre le deuxième refuge où je pourrai m'allonger 30 à 40 minutes (sans dormir dixit Mauricio, sinon c'est le mal de crâne ultime assuré). J'ai envie de fermer les yeux en marchant tellement je suis crevé, ce qui n'est pas malin lorsqu'on marche sur de la glace avec des crampons. Je crois que la sensation la plus proche, et que certains d'entre vous ont pu épisodiquement ressentir, c'est lorsque vous avez forcé sur les substances récréatives et festives, il est 5 heures du mat', vous êtes très nonchalamment dans le canap, en sachant que vous seriez mieux dans votre lit, mais le corps refuse de bouger le moindre muscle. Là c'est la même sauf que je peux pas faire une sieste dans la neige, il faut continuer d'avancer... flamme rouge, premier refuge, déjeuner, minibus.


Je rentre à La Paz comme un zombie, il est 16h30, je maudit le dernier escalier jusqu'à ma chambre et je rampe jusqu'au lit pour une siesta pas volé !!! 


Gros mignon et faites de beaux rêves... zzzzzzz...zzzzzzz...


p.s.: toutes les photos ici, comme d'hab vous savez.

1 Response to "Hissez Haut !!!"

  1. Timo Says:

    Quel recit fantastique! On y va demain en esperant avoir autant de reussite que toi!

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