El Oriente...

... Boliviano bien sûr.

Je fais une entorse (aïe) au classique axe nord-sud bolivien du mochillero, et toutes voiles dehors, je me dirige vers Santa Cruz. Santa Cruz de la Sierra pour être précis comme un coup de machette au milieu du front. Arrivé là-bas, dites plutôt Santa "Crou" si vous ne voulez pas passer pour un lapin de six semaines.

L'altiplano couvre un tiers du territioire bolivien, rassemble 70% d'une poplution de 10 millions de bipèdes d'un pays vaste comme deux fois la France (les chiffres tombent). Et le reste alors? Et bah Santa Cruz par exemple, la plus grande ville du pays, la plus riche aussi. Les coquins ont les pieds dans le pétrole, il y a du 4*4 équipé en subwoofer,  ça demande l'indépendance. Ce sont plutôt des gens des plaines et forêts tropicales qui ne se sentent pas représentés par les indigènes de La Paz. Un peu comme des flamands en Wallonie ou Mickey à Nigloland.


La ville est située aux confins orientaux de la Cordillère (un bon 20h de bus de La Paz), au Nord-Est le bassin amazonien à perte de vue, au Sud-Est, les immenses plaines du Gran Chaco descendent sur une majeure partie du Paraguay, et droit devant, "el tren de la muerte" tire tout droit vers le Brésil et les marécages du Pantanal (et nous y reviendrons bien assez tôt).

Santa Cruz c'est plutôt moche et il fait plus froid que prévu. Une exceptionnelle vague de froid est remontée depuis l'antarctique, a glacée l'Argentine, et s'est ressentie jusqu'à Manaus, au milieu de l'amazonie brésilienne.

A quelques heures de là dans la Sierra, un bel endroit s'appelle Samaipata.... demi échec, le parc Amboro a été dévasté par la neige la semaine avant mon arrivée... c'est une forêt tropicale à 2000 mètres d'altitude qui n'a probablement jamais vu la neige depuis un siècle, c'est pour vous dire si je tombe bien. Re-tant pis, le village est agréable, il y a quelques gringos du vieux continent qui s'y sont posés pour tenir (d'une main souple) une poignée d'hôtel et de restaurant. Le patron de ma crèche est un vieux hollandais qui écoute de la musique tibétaine toute la journée. C'est dire si on est bien à Samaipata.

Je fais bien une promenade, Bellavista la bien nommée:



et quelques potes Boliviens pure souche:


Nota-Benêt: cette petite coupe négligée a encore évoluée depuis un mois environ... j'ai désormais une nuque à la Jean-Luc Ettori saison 87.


C'est la gorge serrée (vous l'aurez constaté) que je quitte mon simiesque ami. Mon objectif c'est de rejoindre la Higuera, 5 maisons et une école au fin fonds d'une piste de montagne à près de 8 heures de Santa Cruz. Là-bas, il y a aussi un fidèle médecin cubain à résidence, envoyé par la Havane, ce qui doit en faire le village le plus isolé et le mieux soigné du monde. Et pourquoi ça? un indice chez vous: il y a une statue de Che Guevara sur la place centrale en forme d'étoile, vous l'aurez deviné, c'est ici que la lutte s'est achevée dans le sang (le sien) pour le natif de Rosario (petite info au passage, en recoupant de nombreux avis, c'est à Rosario qu'il y aurait les plus belles filles d'Argentine. Truc à vérifer plus tard).

Pour expliquer un peu le bordel que ça peut être la Bolivie, je vous dis comment trouver un bus en sortant de Samaipata. La patronne de mon auberge: "écoutes moi bien, un bus va passer à 15h et un autre à 18h". 

On se cale au bord de la route principale, les fesses sur le sac, le sac dans la poussière, il est 14h30, sacro-saint principe de précaution. Ici comme ailleurs, l'information est en continue, un chauffeur de taxi me dit que le bus est passé à 13h30 et qu'il y en aura un autre à 17h. Petit roublard va. L'enfoiré avait peut être raison , il est 15h45 et "siempre nada" hormis 3 camions et 30 mobylettes. Je demande à un autre taxi. Selon lui le bus est passé ce matin à 11h et il y en aura un autre vers 20h. Vous vous foutez pas de ma gueule par hasard???. Je tente le stop, échec, c'est pas dans la culture locale et pis la plupart des gens rentrent chez eux à 500 mètres fumer un pétard devant la roue de la fortune ("El neumatico de la riqueza"). 16H15, un bus s'amène, s'arrête 20 secondes, fait monter un vieux, le co-pilote balance son sac dans la soute, j'ai pas le temps de comprendre ce qu'il me dit, il se casse, je regarde la carte, l'enfoiré, il va jusqu'à une ville carrefour (pas le magasin) qui m'aurait bien avancé. La patience est mère de toutes les vertus....et ta soeur elle a des verrus???? 16h30 !!! Bingo flash, toc toc allo Mac Fly on se réveille, le bus est bel est bien là, pas une place assise, debout je m'en fous au moins j'y vais ! 2h après, on s'arrête dans un bouiboui, le co-pilote ramasse 4 tabourets en plastoque pour assoir les "malheureux" comme moi au milieu de l'allée centrale les épaules calés entre les dossiers de sièges. Ca sent les oranges et la sueur. Et alooooors, on est pas bien là?

Le Che avait tous les honneurs à Cuba, ministre de l'industrie et compagnie, gros cigare et rhum à volo. Mais non, Môssieur aime se bagarrer dans la jungle pour défendre l'opprimé. Il lâche tout et pars en Afrique puis en Bolivie. Certains disent qu'il n'a pas autant de mérite que ça et que Fidel Castro l'aurait mis à la porte, jaloux de l'incroyable popularité de son camarade parmi le peuple Cubain. Chacun sa version, on ne saura jamais. M'est avis que les choses se sont passés ainsi:

Le Che s'attable à son japonais préféré de la Havane. Il scrute la carte, d'abord indécis, il lève enfin des yeux graves et déterminés vers le serveur: "Je prend le Maki".  Surpris mais terriblement admiratif, le serveur se retourne vers la cuisine: "el Comandante prend le maquis !!!" Il prend le maquis !!!! Le bruit se répand comme une trainée de poudre dans le vieux Havane et en moins de 12h la nouvelle est arrivé jusqu'à Porto Rico. Le Che s'exclame": MAIS NON merde, arrêtez vous êtes con, on peut pas bouffer tranquille à la fin!!!"... Trop tard, pris au piège de sa propre légende qui le dépasse de la longueur d'un fusil: "bon ok ok ok, j'y vais mais faites vraiment chier, aller passe ma pétoire toi au lieu de dire des conneries!!!"


Le plan sur la comète, c'était de s'installer au coeur de la Bolivie, rallier la populace, renverser la dictature et se répandre sur tout le continent. C'était aussi un terrain d'entraînement, à part se battre, un bon guerillero doit apprendre à marcher des heures la faim ventre (j'en fais de même sauf que je troque le fusil contre l'appareil photo). A l'échelle du continent il s'entend, les frontières du Brésil, Argentine, Paraguay, Perou et Chili ne sont pas si éloignés. Malheureusement pour ces messieurs, ça tourne en eau de boudin. Premièrement, la réforme agricole est passée par là et les paysans ne sont pas si mécontents de leurs sort ; deuxio, les gens du coin ne sont pas des nerveux de la revendication contrairement aux indigènes de l'altiplano ; Troisio, la dictature propagande à tout va, faisant croire aux paysans que le Che et ses hommes sont des bandits venus les dérober.


Après 11 mois de combats, le groupe du Che se trouve coincé dans la Quebrada del Yuro à quelques kilomètres de la Higuera. Très mauvais endroit, qu'il n'avait pas choisi d'ailleurs. Ils se sont fait surprendre quelques jours plus tôt et ont du fuir dans ce coupe-gorge qui manque salement de végétation pour se planquer. Ce 8 Octobre 1967, c'est la rouste finale. L'armée bolivienne, entraîné par la CIA, a déployé plus de 4000 hommes dans la région pour capturer une cinquantaine de révolutionnaires séparés en deux groupes. Ce jour-là, ils sont 400 postés au dessus du canyon contre 17 en bas, dont deux sur des brancard et "Chino" qui est presque aveugle. Durant 3 heures, le combat fait rage.

Reporters sans frontières, je passe à découvert, clic clac, impact de balle:


Blessé aux jambes, la culasse de son fusil explosé par une balle, le Che se rend. D'autres seront tués sur place ou les jours suivants, ou faits prisonniers et rapidement exécutés. Trois sont toujours de ce monde, dont Harry Antonio Villegas Tamayo alias "Pombo", un cubain vivant aujourd'hui à La Paz.


Le Che est gardé prisonnier dans la petite école de la Higuera où il sera rapidement exécuté. Sur ordre de qui, on ne sait toujours pas, ce qui est sûr c'est qu'il y avait deux agents de la CIA ce jour-là à la Higura qui n'était probablement pas venus parcourir la région pour compléter leurs herbiers. 

Très peu de gens ont pu lui parler avant sa mort, il existe quand même quelques témoignages assez fiables. L'institutrice du village est chargée de lui apporter à manger et lors de sa dernière discussion avec lui, demande : « Pourquoi avec votre physique, votre intelligence, votre famille et vos responsabilités vous êtes vous mis dans une situation pareille ? » « Pour mes idéaux.»


Un document pas du tout exclusif, le témoignage du soldat bolivien chargé de l'éxécution:

"Je suis resté 40 minutes avant d'exécuter l'ordre. J'ai été voir le colonel Pérez en espérant que l'ordre avait été annulé. Mais le colonel est devenu furieux. C'est ainsi que ça s'est passé. Ça a été le pire moment de ma vie. Quand je suis arrivé, le Che était assis sur un banc. Quand il m'a vu il a dit «Vous êtes venu pour me tuer». Je me suis senti intimidé et j'ai baissé la tête sans répondre. Alors il m'a demandé: «Qu'est ce qu'ont dit les autres ?». Je lui ai répondu qu'ils n'avaient rien dit et il m'a rétorqué: «Ils étaient vaillants!». Je n'osais pas tirer. À ce moment je voyais un Che, grand, très grand, énorme. Ses yeux brillaient intensément. Je sentais qu'il se levait et quand il m'a regardé fixement, j'ai eu la nausée. J'ai pensé qu'avec un mouvement rapide le Che pourrait m'enlever mon arme. « Sois tranquille me dit-il, et vise bien ! Tu vas tuer un homme !». Alors j'ai reculé d'un pas vers la porte, j'ai fermé les yeux et j'ai tiré une première rafale. Le Che, avec les jambes mutilées, est tombé sur le sol, il se contorsionnait et perdait beaucoup de sang. J'ai retrouvé mes sens et j'ai tiré une deuxième rafale, qui l'a atteint à un bras, à l'épaule et dans le cœur. Il était enfin mort.»



Du côté de la Higuera aujourd'hui, on peut se promener sans se prendre un pruneaux dans la rate, discuter avec les gens. Chacun y va de son anecdote sur ces événements de quelques jours, plus ou moins véridique. Don Florencio Aguilar nous présente ici un magnifique pistolet trouvé sur les lieux du combat:


Selon lui, c'est celui du Che. Peu probable, il est de fabrication argentine, or les armes de la guerilla étaient russes, importés via Cuba. 

Pendant quelques jours, et avant de disparaître pendant 30 ans, son corps sera exposé aux yeux du monde entier à la laverie de l'hôpital Senor de Malta de Vallegrande (la "ville" du coin à 3 heures de piste):



Des dizaines de curieux, soldats et civils se pressent pour voir le corps. Les nonnes de l'hôpital et les femmes du village vont même jusqu'à noter sa ressemblance avec le Christ et couper des mèches de cheveux conservées comme des reliques. Les militaires préfèreront lui couper les mains, qui seront envoyés à Washington, pour être sûr que c'est bien le Che et pas sa soeur avec une fausse barbe.

Les photos du Che, les yeux ouverts, donnent naissance à la légende de San Ernesto de La Higuera ou El Cristo de Vallegrande. Un culte religieux et des messes en son nom seront consacrés dans la région durant les années 90.



C'est la fin de la lutte, je range la kalach dans le sac et je repars vers Santa Cruz.

Avant de clore l'épisode, séquence émotion. Je ne savais pas mais le Che était père de 4 enfants. Copie murale de la petite carte qu'il leur avait laissé au cas où il aurait un accident du travail:


De retour Santa Cruz, quelques jours de repos pour votre guerillero de l'info. Puis je saute dans un train qui fonce comme mulet au galop en direction de la frontière Brésilienne. 


Huuuuuuuu tout doux bijouuuuu ! Je m'arrête une nuit dans la bourgade de San José de Chiquitos sur la route des missions Jésuites. Nos amis les Jésuites se sont bien installés dans l'Est de la Bolivie mais aussi au Brésil, au Paraguay et dans le Nord de l'Argentine. 


Et les Jésuites sont des malins. Au lieu de se pointer lance au point pour saccager de l'indien, ils ont essayé de combiner le meilleur de la culture européenne et Chiquitani ou Guarani selon les régions, mais sans les brusquer. Ils leur ont appris à jouer de nos instruments pour donner des représentations d'Opéra digne des plus belles salles du vieux continent. Ils ont intégrés le travail du bois très présent dans la région dans la construction des églises où l'on peut parfois observer un Christ avec un faciès d'indigène ou un ange avec des ailes de perroquets. Ils ont tellement bien réussi leur missions à travers l'art et l'artisanat, qu'aujourd'hui, on ne connait pas grand chose des croyances de ces populations avant l'arrivée des Jésuites. Le succès fut tel que les Rois d'Espagne et du Portugal les ont chassés à coup de savates, inquiets de leur influence auprès des populations locales.

Le message de Dieu est bien passé, et aussi Jésuite que je puisse être, en effet, je ne vois pas de raison de se fâcher avec l'autochtone. Ainsi, les églises sont bien gardées:


Je ne veux pas devenir ennuyeux avec des détails, mais si comme moi vous êtes féru de travail du bois, en s'approchant d'un peu plus près, on peut admirer la qualité de sculpture:


C'est bien gentil tout ça, mais faut avancer, retour à la gare:


Je me fais un pote:


Deux potes:


Six potes:


ouaaaais les gars on est une équipe !!!!


Ciao, en voiture Simone, bonne nuit tout le monde et on se retrouve de l'autre côté de la frontière, au Brrraaasiiiiiiiiiiiil (n'oubliez pas de passer à la cahute faire tamponner le passeport!).


Toutes les photos sont ici.

Hasta Siempre Coca-Cola ou Commandante, à chacun sa paroisse (Jésuite, c'est un exemple).